"À un moment, tout va basculer, ça ne sera plus le même monde… Les couleurs, les voix, les gens, les minutes qui passent, tout sera différent, tu verras.” Différent, c’est effectivement le sentiment qui a prédominé lors de ce concert de DBK Project le 5 septembre dernier au Supersonic. Pas seulement parce que le quintet toulousain partageait l’affiche avec deux groupes estampillés rock, voire punk rock alors que leur musique est plutôt à dominante pop. Mais bien parce ce format de conte musical adulte, mêlant anticipation politique et complexe temporel, est un des projets les plus intéressants du moment. Ce qui nous a incité à rencontrer les deux auteurs de l’histoire de “480” Mélanie Briand et Aurias Gamisans.
LGR - C'est toi Mélanie l’auteure, qui a proposé aux autres membres du projet de mettre l’histoire de “480” en musique ?
Mélanie - J’ai écris une majeure partie des textes de “480” juste avant d’enregistrer l’album, avec le concours d’Ausias. J’étais fan de littérature et surtout de films d’anticipation, tels que “Matrix”, “Terminator 2” ainsi que l’adaptation du roman de Cormac McCarthy “la Route”. J’avais envie d’illustrer les thèmes qu’ils abordent sous forme de conte musical.
Ausias - J’adorais les histoires pour enfants de Elodie Fondacci, illustrées par des morceaux de musique classique. Et je me suis dis, pourquoi ne pas s’inspirer de cette démarche, avec un habillage sonore bien sûr différent tout en en conservant les codes du conte musical. Alterner narrations portées par la musique et morceaux beaucoup plus denses musicalement.
LGR - Vous pouvez nous en dire plus sur la genèse de "480" ?
Mélanie - Elle a été écrite et récrite… 480 fois ! (rires). On avait trois personnages et non un seul. Sur la suggestion d’Ausias - puisque c’est moi la narratrice - d’un homme, il est devenu une femme pour faciliter l’identification à 480. Et nous avons affiné, peaufiné la structure de l’histoire…
Ausias - On a testé beaucoup de pistes, tant d’un point de vue narratif que scénique. De part le contenu “politique” du récit, on a essayé de donner à Mélanie, une stature de leadeuse comme dans un meeting. Puis, on a plutôt choisi que cet aspect, comme sa teneur “spirituelle”d'ailleurs, ne soit pas trop verbalisé, mais suggéré.
LGR - La comparaison de notre confrère Fred Lombard de Indiemusic, qui vous voit comme des "héritiers de Saint Exupéry”, prend donc tout son sens, même si de prime abord, les thèmes de “480” font plus songer à Philippe K. Dick…
Mélanie - La base de l’histoire était vraiment le conte, même si je ne commence pas par “il était une fois”… On l’a adapté pour l’album. L’imaginaire demeure très présent avec cette référence à une boucle temporelle, mais la trame est aussi politique, même si elle est traitée par le biais de l’anticipation.
Ausias - Et on l’a du faire un travail de simplification pour le live. Les codes en live sont différents de ceux de l’album. Le niveau d’attention est différent et si tu n’es pas suffisamment simple et structuré, tu peux perdre un public qui n’est pas le même que celui du théâtre, et de fait beaucoup plus concentré.
Le clip de “Anastasia” ou l’histoire d’une enfant qui atterrit sur une planète et ne peut plus repartir. Pour se projeter et continuer d’exister, elle décide de se cloner et d’envoyer des fœtus dans l’espace comme des bouteilles à la mer.
LGR - Vous avez sorti plusieurs vidéos - l’adaptation de “Nastasia” notamment - qui illustrent visuellement l'univers de "480", comment se déroule son adaptation scénique ?
Ausias - A mon sens, il y avait deux manières de l’adapter. Soit tu lui faisais prendre corps totalement et cela donne forcément quelque chose de très dense. Au risque d’empêcher le spectateur, de développer sa propre vision de l’histoire… Ou alors tu optes pour une mise en scène sobre ; nous arrivons tous vêtus en noir et laissons place au propos et à la musique.
Mélanie - Et on va rajouter de la video en fond de scène, pour faciliter encore plus l’immersion dans l’histoire. On a testé plusieurs choses, dont un écran ressemblant à du DOS d’un vieux PC… Tout pas pour faciliter encore plus l’immersion dans l’histoire. Certains spectateurs choisissent même de fermer les yeux pour mieux rentrer dans l’histoire. Les mêmes sans doute, qui parce qu’ils sont assis sont plus concentrés et plus proches en cela du public du théâtre…
LGR - Au vu de la démarche et du contenu de “480”, n’y a-t-il pas un risque de présenter ce spectacle dans des salles de concerts ?
Ausias - C’est sûr que je préfère les salles assises pour les raisons qu’on a évoqué. Mais la salle de concert te transmet de l’énergie, qui correspond aux moments où ça s’énerve un peu musicalement. Pour nous, il s’agit d’un autre plaisir et l’interaction est différente, plus brute bien sûr…
LGR - Le projet DBK est une émanation de la Cie Popatex, qui investit plusieurs champs artistiques - de la danse, à la chanson au théâtre - et à laquelle tu appartiens, Mélanie…
Mélanie - J’ai monté Popatex il y a dix ans maintenant. A l’origine, j’avais un groupe de musique et on faisait de la pop à textes, d’où le nom. (rires) Même si je suis comédienne à l’origine, j’ai choisi de monter une structure pluridisciplinaire. Et pour DBK Project, je suis narratrice et chanteuse. Mais j’ai laissé tomber la guitare avec tous ces musiciens autour de moi !
LGR - Outre la narration proprement dite, l'usage du français semble servir à raconter l'histoire et l'anglais à lui donner son rythme. C'est perceptible sur "Violent girl", est-ce parce qu'il parait plus difficile de "sonner" en français ?
Ausias - Lorsque le français est utilisé dans un morceau, c’est que l’on est très proche de l’histoire. Lorsque les textes sont en anglais, c’est la mélodie qui prime et la voix devient un instrument supplémentaire. Ce qui ne veut pas dire pour autant que ce sont pas des textes travaillés. Même en étant pas très réceptif à l’anglais, on ne perd pas le fil de l’histoire.
LGR - Un confrère compare "La tempête" à du Gérard Manset. Peut-être en écho à son dernier opus "Opération Aphrodite", l'adaptation cosmique d'un texte de Pierre Louÿs. Avec effectivement du parlé / chanté…
Ausias - Je ne connais pas… Je suis sorti du cadre pop avec ce morceau, en étant plus progressif, moins couplé / refrain et Mélanie a trouvé le ton juste pour accompagner les énergies différentes de la mélodie. Et sur scène, les musiciens se font vraiment plaisir.
Illustration de Nicolas Barberon - © Croque and Roll live
LGR - La palette musical de “480” va du funk "Avant la tempête" au classique "Behind the wall”, en passant par les très groovy "Run away” et “Draw me something”. Le hip-hop s'invite même sur “Sing a song” et “Violent” Girl doit autant au disco qu'à Pink Floyd… Mais la tonalité générale est plutôt pop…
Mélanie - C’est ainsi qu’on la présente effectivement, avec des touches folk également…
Ausias - Les harmonies sont pop, on n’est pas sur des accords avec des neuvième, des treizième… Plutôt sur des accords en mineur et majeur, relativement pleins.
LGR - Le choix de la diversité rythmique et mélodique - et le genre aisément accessible qu’est la pop - facilitent l’adhésion à l’histoire. Si vous aviez du choisir un rythme spécifique, lequel auriez-vous choisi ?
Ausias - Aucun ! On n’aurait pas fait ce projet dans ce cas. Il tient parce qu’il est lié par une histoire. Si on supprimait les narrations de Mélanie, on ne comprendrait pas où l’album veut en venir, pas possible de trouver un titre représentatif… Elles sont les liens qui structurent l’ensemble.
LGR - Mélanie, sur ce projet, tu es ni comédienne, ni chanteuse. Comment vis-tu ce positionnement sur scène ?
Mélanie - Il faut trouver sa place parmi les musiciens. Sans instrument en mains, pas évident… Mais grâce au micro HF, je peux me balader, ce qui facilite mon rôle de passeuse du “message” du spectacle. Surtout dans une salle de concert, où tout le monde parle à son voisin ou boit une bière… Mais si les spectateurs ne captent pas l’intégralité de ce que je raconte, ce n’est pas très grave, c’est la musique qui rattrape le coup… Et son côté pop, pas trop conceptuel, ni intello aide grandement !
Ausias - Cette originalité en désarçonne tout de même certains… C’est même très cliquant. D’autant qu’il est impératif de donner du temps et de l’attention. Si on suit d’une oreille distraite avec les codes habituels des concerts, ça peut être très perturbant. Mélanie parle tout le temps et surtout ne joue pas l’interaction avec le public…
LGR - Vous vous êtes produits dans des théâtres, des petites salles comme le Supersonic, des plus grandes scènes comme au festival Pause Guitares à Albi. Mélanie, comment vous êtes-vous adaptés à ces configurations très différentes ?
Mélanie - Je suis rarement à la même place sur scène et il y a de fait, une énorme part d’improvisation de mon côté. Pour m’adapter aux contraintes justement, puisque je n’interviens pas en permanence… Mon micro HF me permet heureusement de me déplacer facilement, les noirs sur scène de me dissimuler… J’attend beaucoup de la vidéo qui va permettre de capter le regard vers un autre objet et peut-être d’avoir une vidéo portative, afin que tout le monde puisse me voir. Surtout si je suis perdu au milieu d’une foule de festival…
Exrait du set au Supersonic
LGR - Vos deux EP antérieurs étaient-ils des sortes de préquels de "480" ? "My better things" une ballade folk, semble évoquer la fin d'un monde…
Mélanie - Il y avait effectivement des prémices de l’histoire, mais ce titre qui figure sur le deuxième EP, n’a pas été retenu pour l’album. Je l’ai d’ailleurs écrit juste après les attentats du Bataclan, pas un hasard…
Ausias - Ces deux EP ont permis de beaucoup expérimenter en live, tant sur l’histoire que sur la musique - en mode laboratoire en quelque sorte - avant de réaliser l’album. Sa concrétisation nous a contraint à structurer notre propos. Du coup, le re-décliner en live, sous sa forme actuelle, s’est avéré plus simple que si nous avions fait la démarche inverse…
LGR - Les autres musiciens sont arrivés comment sur le projet ?
Mélanie - Ils étaient depuis le début, Romain est arrivé un petit peu plus tard à la batterie. Et tous sont à l’aise dans le mode labo dont parlait Ausias. Clément le guitariste et Milu à la voix et au moog, jouent ensemble sur un autre projet.
LGR - La suite pour “480” et le DBK Project ?
Mélanie - On sera le 4 octobre au Bijou à Toulouse et le 9 novembre au Noctambule à Albi. Venez nous voir si vous êtes dans les parages !
DBK Project
Mélanie Briand (narrations, percussions) Milu Milpop (Voix, Moog), Ausias Gamisans (claviers), Clément Foisseau (guitares) et Romain Sampons (batterie)
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